« Elle n’aime pas les dimanches. Elle traîne toujours une certaine mélancolie. Son homme travaille. Au deuxième, une dizaine d’ouvriers s’activent. Elle entend les coups de marteau, la scie électrique, devine les dernières étagères qui doivent être en train d’être installées. Elle voit les flics arriver. Il y a toujours des gens bien intentionnés. Un voisin excédé les a alertés. 
Ils viennent pour le bruit ; ils repartent avec dix travailleurs sans papiers.
Elle veut le prévenir. Elle demande son numéro à la concierge. Leur ligne téléphonique est déjà coupée. Ils ne vont plus tarder à s’installer.
La porte du porche s’ouvre. Elle voit sa silhouette se dessiner à contre-jour. Il s’avance. Elle le regarde. Il ne la lâche pas des yeux. Elle a l’impression que tout son être à l'intérieur d’elle-même est en train de s’effondrer. Il avance. Ne dit toujours rien. Elle se force à parler. 
Elle lui dit qu’elle cherchait à le joindre. Elle tient Le Monde dans ses mains. 
Il ne dit toujours rien. Sort un stylo de sa poche. Note son numéro de portable dans un coin du journal. Elle a les mains qui tremblent. Elle n’arrive pas à tenir le journal. Lui non plus. Ils sont là, tous les deux au milieu de cette allée, avec les flics, les ouvriers, les gens, ils sont là, ils se regardent, ils sont tellement près l’un de l’autre qu'elle pourrait entendre son cœur battre. Ses yeux plongent dans les siens, le temps s’est arrêté ; des voisins arrivent, le temps reprend.
Tout le monde parle. Elle est là au milieu. Elle tient toujours le journal dans ses mains. Dans un coin, un numéro de téléphone griffonné au stylo. Elle est brouillée. Embrouillée. Elle devine, inconsciemment. Mais elle ne saisit pas vraiment. 
Pas encore.
Il est reparti.
Le soir, elle a jeté Le Monde. Avant, elle a mécaniquement enregistré son numéro dans son téléphone. Comme si elle ne pouvait pas faire autrement. 
Il lui faudra longtemps avant de s’expliquer pourquoi.
Nous sommes le 11 novembre.